Rédigé par Thomas Papo, service de Médecine Interne, Hôpital Bichat, Université Paris-Diderot, Paris (août 2014)
Qu’est-ce que la polychondrite atrophiante ?
Cette maladie rare (polychondrite chronique atrophiante ou relapsing polychondritis des anglo-saxons) est responsable de l'inflammation récidivante de nombreux cartilages (oreille, nez, trachée, bronches, articulations, valves cardiaques…). Elle peut comporter des complications viscérales menaçantes, principalement respiratoires et cardiovasculaires.
Combien de personnes en sont atteintes et qui peut être atteint ?
Décrite pour la première fois en 1923, la polychondrite a longtemps été considérée comme une affection exceptionnelle. En fait, sa fréquence paraît sous-estimée même si l'incidence annuelle est faible, évaluée à 3,5 cas par million d'habitants. La polychondrite touche les deux sexes, avec une légère prédominance féminine. Elle est possible aux âges extrêmes de la vie mais survient le plus souvent chez l'adulte entre 40 et 50 ans.
A quoi est-elle due ?
L'origine exacte reste inconnue. Une réaction auto-immune dirigée contre différents antigènes des cartilages est régulièrement mise en évidence.
Est-elle contagieuse ?
Non, car il n’y a pas d’agent infectieux.
Mes enfants peuvent-ils l’avoir ?
Non, car il ne s’agit pas d’une maladie génétiquement transmissible.
Quelles sont les manifestations cliniques ?
Les chondrites
La mise en évidence des chondrites caractéristiques est indispensable au diagnostic. Leur apparition est le plus souvent subite. Elles ne sont pas toujours signalées spontanément car souvent transitoires. Elles évoluent en 2 phases: une ou plusieurs poussées inflammatoires puis, dans certains cas, une atrophie définitive des pièces cartilagineuses.
La chondrite du pavillon de l’oreille (85 % des cas) est la plus spécifique. Au stade aigu, elle réalise une tuméfaction uni ou bilatérale, chaude, rouge ou violacée, douloureuse spontanément et au moindre contact. Toute la partie cartilagineuse de l’oreille peut être atteinte. Par contre, le lobule, non cartilagineux, est toujours respecté, ce qui différencie la chondrite d’une atteinte infectieuse.
La disparition survient spontanément en quelques jours ou semaines. La fréquence des récidives est très variable. Au stade d’atrophie, inconstant, le pavillon prend un aspect anormalement lisse voire flasque lié à la disparition du relief cartilagineux normal. Exceptionnellement, un certain degré de calcification peut s’observer.
La chondrite nasale (65 % des cas), réalise au stade aigu une tuméfaction nasale inflammatoire, rarement accompagnée d’écoulement de mucus ou de sang. Le stade d’atrophie, qui peut lui succéder ou survenir d’emblée sans inflammation préalable, entraîne une déformation acquise et définitive «en selle» (ou ensellure nasale) résultant de l’effondrement de la cloison cartilagineuse. La comparaison avec des documents photographiques antérieurs permet parfois d’authentifier une minime déformation débutante.
Les chondrites de l’arbre respiratoire, moins fréquentes (55 % des cas) mais potentiellement graves, surviennent plus volontiers chez la femme. L’atteinte de l’arbre respiratoire est souvent diffuse. Elle peut être asymptomatique et dépistée uniquement par les épreuves fonctionnelles respiratoires. Les chondrites du larynx et de la trachée s’accompagnent quasi-constamment de signes cliniques. Le collapsus (chondromalacie : ramollissement des parois qui ferment le conduit surtout à l’expiration) trachéal peut être brutal et entraîner un arrêt respiratoire mortel.
L’atteinte des cartilages du larynx se traduit par des douleurs spontanées ou provoquées par la palpation, et surtout par une voix rauque ou une extinction de voix qui ne doivent pas être banalisées.
Elle aboutit parfois à la constitution d’un rétrécissement irréversible responsable d’une difficulté à prédominance inspiratoire. La survenue de poussées ultérieures peut nécessiter une trachéotomie. L’atteinte de la trachée et/ou des bronches proximales s’associe à l’atteinte laryngée ou survient isolément. Elle entraîne une dyspnée expiratoire parfois accompagnée de douleurs, de toux et d’infections bronchopulmonaires répétées et éventuellement sévères.
La principale complication est l’apparition d’une insuffisance respiratoire obstructive résultant de sténoses définitives et/ou d’une chondromalacie responsable d’un collapsus expiratoire trachéobronchique (voir supra). Les phénomènes d’obstruction peuvent se compliquer de dilatations des bronches, pouvant elles-mêmes se compliquer (surinfection…).
Une banale infection bronchique ou un geste endoscopique malencontreux peuvent précipiter la survenue d’une insuffisance respiratoire aiguë.
Les chondrites des cartilages costaux (35 % des cas) provoquent des douleurs souvent responsables d’erreurs diagnostiques.
Les atteintes extra-chondritiques
Les atteintes extra-chondritiques non cartilagineuses très diverses, occupent souvent l’avant-scène du tableau clinique et peuvent inaugurer la maladie.
Des signes généraux sont présents lors des poussées sévères: fièvre, anorexie, amaigrissement parfois massif.
Les manifestations rhumatologiques (70 à 85 % des cas) évoluent souvent indépendamment des chondrites. Parfois simples arthralgies, elles réalisent en règle une polyarthrite intermittente, asymétrique, migratrice, non déformante touchant notamment les chevilles, les poignets, les doigts, les genoux et les coudes. Une monoarthrite aiguë spécifique peut simuler une atteinte infectieuse ou une goutte. Les atteintes des côtes ou du sternum, des tendons et de la colonne vertébrale (cervicale ou lombaire) ne sont pas rares.
Les manifestations ORL (40 % des cas) sont dominées par l’atteinte de l’oreille interne avec une surdité de perception, d’importance variable, uni ou bilatérale, de survenue brutale et généralement non régressive, de mécanisme hypothétiquement vasculaire. Elle doit être distinguée d’une baisse de l’audition résultant d’une atteinte (obstruction, surinfection ou collapsus) du conduit auditif externe ou de l’oreille moyenne. On peut aussi observer des syndromes vestibulaires périphériques (grand vertige rotatoire) généralement réversibles.
Les manifestations oculaires, fréquentes (60% des cas) mais rarement sévères, sont dominées par l’épisclérite, la sclérite et la conjonctivite (oeil rouge et douloureux).
Les manifestations cardiovasculaires (20% des cas) comportent des valvulopathies (principalement insuffisance aortique par dilatation de l’anneau plus que par lésion des valvules), des troubles du rythme et de la conduction, des anévrysmes qui siègent préférentiellement sur l’aorte thoracique initiale (6% des cas), et des rétrécissements des gros troncs artériels.
Les manifestations dermatologiques (20 à 40% des cas) résultent souvent d’une vascularite (inflammation de la paroi des vaisseaux) (purpura infiltré, livedo, urticaire annulaire).
Les rares manifestations rénales (atteinte des glomérules) s’observent généralement en cas d’association avec une vascularite systémique.
Les atteintes neurologiques sont rares, qu’elles soient périphériques ou centrales.
Quelle est son évolution ?
L’évolution se fait par poussées successives dont la fréquence et la sévérité sont extrêmement variables. L’activité et l’évolutivité de la polychondrite peuvent être appréciées par la clinique, les tests biologiques usuels (CRP, hémogramme) et une évaluation morphologique (scanner haute résolution, échographie doppler cardiaque…) ou fonctionnelle (EFR) séquentielle. Récemment, l’utilisation de la méthode Delphi a permis de dégager un consensus à partir d’avis d’experts internationaux pour définir un score d’activité ou RPDAI (Relapsing Polychondritis Disease Activity Index).
La grossesse ne pose pas de problème, qu’il s’agisse de l’évolutivité de la polychondrite chez la mère ou de pathologie fœtale. Les formes mineures de polychondrite sont rares, et la majorité des patients sont porteurs d’une affection chronique, douloureuse, entraînant divers handicaps auxquels viennent s’ajouter les effets secondaires de thérapeutiques lourdes. Des rémissions parfois très prolongées peuvent survenir spontanément ou sous l’influence du traitement. Le pronostic s’améliore, probablement en raison du diagnostic des formes frustres et du traitement plus précoce des manifestations graves, le taux de survie à 5 ans variant de 75% à 94%. La mort résulte le plus souvent d’une atteinte spécifique (respiratoire ou vasculaire), d’une maladie du sang (dysmyélopoïèse) associée ou d’une infection, surtout pulmonaire, et fréquemment favorisée par le traitement.
Comment fait-on le diagnostic ?
La mise en évidence des chondrites caractéristiques est indispensable au diagnostic.
Le diagnostic de la polychondrite, souvent porté avec retard, est principalement clinique, l’analyse au microscope d’un échantillon de cartilage (histologie) n’ayant qu’un rôle d’appoint dans les formes débutantes, atypiques ou frustres. Michet a établi des critères majeurs (chondrite auriculaire, nasale ou laryngotrachéale) et des critères mineurs (inflammation oculaire, hypoacousie, syndrome vestibulaire, arthrite «séronégative»). La présence de deux critères majeurs ou d’un critère majeur et de deux mineurs permettent de retenir le diagnostic de polychondrite.
Devant une inflammation du pavillon de l’oreille, reconnaître l’existence d’une chondrite n’offre guère de difficultés. Le contexte permet d’écarter d’autres affections: traumatisme (oto-hématome), brûlure, piqûre d’insecte, gelure ou goutte. Le diagnostic d’infection, souvent évoqué par excès, repose sur les circonstances (geste chirurgical, plaie, dermatose préalable, otite chronique…) et sur l’aspect des lésions: non-respect du lobule, présence d’adénopathies satellites. Une fièvre très élevée, l’existence d’une collection liquidienne et le caractère très douloureux n’excluent pas l’éventualité d’une chondrite. Les dermatoses, qui ne touchent que le revêtement cutané, sont reconnues facilement sauf dans quelques situations (engelures, localisation cutanée d’une leucémie responsable d’une infiltration dermique profonde) justifiant la pratique d’une biopsie.
Devant une déformation nasale «en selle» ou en « pied de marmite » acquise (ce qui élimine l’exceptionnelle syphilis congénitale), non traumatique, survenant dans un contexte inflammatoire, deux diagnostics doivent être évoqués: la polychondrite et la granulomatose avec polyangéite (granulomatose de Wegener). Bien que les aspects histologiques de ces affections soient différents, de nombreuses similitudes cliniques et biologiques (notamment glomérulopathie et présence d’anticorps dirigés contre le cytoplasme des polynucléaires dans certaines polychondrites) rendent parfois leur distinction très difficile.
Quels sont les examens complémentaires nécessaires ?
Un grand syndrome inflammatoire accompagne habituellement les poussées : élévation majeure de la protéine C-réactive (CRP), hyperfibrinémie, anémie inflammatoire et élévation du taux des globules blancs (hyperleucocytose à polynucléaires neutrophiles). Une vitesse de sédimentation normale ne doit pas toutefois faire récuser le diagnostic.
L'intérêt diagnostique de la sérologie auto-immune est limité, la recherche d'anticorps anti-collagène de type II étant très peu spécifique et celle d'anticorps anticartilage par immunofluorescence indirecte peu sensible. La présence d'anti-neutrophil cytoplasmic antibodies (ANCA) donnant surtout une fluorescence périnucléaire est parfois rencontrée.
Certaines polychondrites sont associées à un problème de moelle sanguine : syndrome myélodysplasique (qui comporte une anémie “ réfractaire “ nécessitant des transfusions régulières, baisse de globules blancs et des plaquettes) en particulier chez le sujet âgé de sexe masculin, au pronostic péjoratif.
Les lésions trachéo-bronchiques sont quantifiées et visualisées par les épreuves fonctionnelles respiratoires avec étude de la courbe débit-volume, la tomodensitométrie (scanner) en mode hélicoïdal avec reconstruction dans l’espace, voire la scintigraphie de ventilation ou l’imagerie par résonance magnétique (IRM).
La fibroscopie bronchique est à risque et son indication doit être soigneusement discutée du fait du risque d’asphyxie liée à la trachéomalacie ou a à une sténose sous-évaluées. Si elle est effectuée, elle doit être faite après un bilan systématique comprenant au minimum des EFR et un scanner trachéo-bronchique hélicoïdal, par un opérateur averti et surtout muni des moyens de réaliser une trachéotomie en urgence. Elle permet alors de faire le bilan des lésions sténosantes.
L’imagerie fonctionnelle par tomographie en émission de positons utilisant le fluorodéoxyglucose (TEP-scan) peut montrer une hyperfixation (larynx, côtes…) évocatrice et réversible sous traitement.
Peut-on prévenir son apparition ou la dépister ?
Non, car cette maladie est de survenue très rare et imprévisible.
Le traitement
Le traitement de la polychondrite, mal codifié en raison de la rareté de la maladie, repose sur la corticothérapie.
Existe-t-il un (des) traitement(s) médicamenteux ?
Dans les formes sévères (chondrite laryngée et/ou trachéobronchique, angéite systémique), la corticothérapie est rapidement entreprise sous la forme de bolus de méthylprednisolone, puis relayée par la prednisone dont la forte posologie initiale (1 mg/kg/jour) est progressivement réduite après 4 semaines.
Les limites de cette corticothérapie (échec, forte corticodépendance, mauvaise tolérance) ou l’existence d’une atteinte artérielle patente justifient le recours aux immunosuppresseurs, généralement azathioprine, mycophénolate mofétil ou cyclophosphamide. Le méthotrexate peut également être utilisé. Le nombre de patients traités [par ciclosporine, leflunomide, D-pénicillamine, échanges plasmatiques, immunoglobulines polyvalentes par voie intraveineuse, anticorps monoclonaux (anti-CD4, anti-CD20) visant à la déplétion cellulaire, médicaments anti-TNF (infliximab, adalimumab, etanercept), inhibiteurs de récepteurs de cytokines (d’IL-1 ou IL-6), de la costimulation T (abatacept) ou autogreffe de cellules souches hématopoïétiques] est trop faible pour évaluer avec précision l’intérêt de ces différents modes d’immunomodulation.
La dapsone (Disulone*), est parfois employée en complément de la corticothérapie, associée à une supplémentation en acide folique. Ses fréquents effets secondaires hématologiques nécessitent une surveillance régulière.
Dans les formes mineures, le traitement de première intention fait appel aux anti-inflammatoires non stéroïdiens, à la dapsone, parfois à la colchicine. Leur efficacité étant limitée, il est souvent nécessaire de leur associer une corticothérapie à faible dose, que l’on tentera par la suite de réduire et si possible d’arrêter.
Existe-t-il d’autres traitements ou mesures que le patient puisse faire ?
Certaines atteintes justifient un geste local, souvent chirurgical: trachéotomie définitive, reconstruction laryngotrachéale, tube de Montgomery, « attelle » de maintien en Gore-Tex, stents bronchiques en silicone ou métalliques auto-expansifs, chirurgie artérielle, voire plastie nasale dont les résultats sont bons si l’affection est durablement stabilisée. Le traitement des valvulopathies est parfois complexe, en particulier pour l’insuffisance aortique, associant à la prothèse valvulaire le remplacement de l’aorte ascendante avec réimplantation des artères coronaires.
Que peut-on espérer de ces traitements ?
Les traitements médicamenteux visent d’abord à induire rapidement une rémission, en supprimant l’activité inflammatoire de la maladie (corticoides). Dans un deuxième temps il s’agit d’obtenir le maintien prolongé de la rémission avec le minimum d’effets secondaires par traitement de fond (immunomodulateur, biothérapie).
Y-a-t-il des effets indésirables de ces traitements ?
Oui tous ont des effets indésirables potentiels spécifiques qui nécessitent à la fois une prise en charge spécialisée (médecine interne) et l’éducation adaptée d’un patient informé.
Quelles sont les conséquences de la maladie sur la vie quotidienne (sociale, professionnelle, familiale…) ? Un soutien psychologique est-il nécessaire ?
Il s’agit d’une maladie a) chronique, b) d’évolution imprévisible, c) dont les complications peuvent être affichantes (nez en pied de marmite, oreilles anormales) et poser des problèmes esthétiques, d) dont l’atteinte articulaire est souvent douloureuse quoique rarement handicapante, e) qui peut finir par donner une insuffisance cardiaque ou surtout respiratoire, f) de traitement médicochirurgical efficace mais très spécialisé et difficile à comprendre, g) avec des médicaments (corticoïdes) qui peuvent entrainer/aggraver une anxiété ou une dépression.
Les arrêts de travail sont fréquents et une mise en invalidité est parfois requise.
Pour toutes ces raisons, le retentissement social et familial peut être important et un suivi psychologique est souvent utile.
Comment se faire suivre pour la maladie ?
La prise en charge multidisciplinaire (rhumatologue, pneumologue, ophtalmologue, cardiologue chirurgien ORL ou cardiovasculaire…) indispensable doit être au mieux organisée et fédérée par un service de médecine interne habitué à la prise en charge des maladies rares inflammatoires.
La régularité du suivi en consultation spécialisée hospitalière permet, entre autres, la prise en charge précoce des poussées et de dépister tôt les effets secondaires des médicaments : c’est une base absolue du traitement.
Quels sont les signes à connaître qui nécessiterait de consulter en urgence ?
En réalité n’importe quelle manifestation même banale (fièvre, rougeur oculaire, douleur de l’oreille ou du nez…) doit pousser à consulter rapidement, idéalement dans les 24 heures.
Une douleur thoracique brutale ou une difficulté à respirer doivent conduire le patient à se rendre à l’hôpital en extrême urgence avec un transport spécialisé (SAMU) même en pleine nuit. Idéalement, un carton mentionnant le diagnostic, le traitement, le lieu du suivi devrait figurer avec les papiers d’identité (portefeuille).
Où en est la recherche ?
La recherche s’appuie surtout sur des études in vitro ou in vivo dans plusieurs modèles animaux (souris manipulées génétiquement) dont la reproductibilité chez l’homme est discutable.
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Y-a-t-il des associations de patients ayant cette maladie ?
Un forum français des malades atteints de polychondrite chronique atrophiante est accessible sur http://www.afpca.fr/leforum/
Peut-on avoir une prise à charge à 100% ?
Oui, cette maladie est une affection de longue durée (ALD) qui donne droit à l’exonération du ticket modérateur.
Pour obtenir d’autres informations sur cette maladie, contactez Maladies Rares Info Services au 01 56 53 81 36 (appel non surtaxé) et www.maladiesraresinfo.org