Ecrit par le Professeur Hervé Lévesque, Département de médecine interne, CHU Rouen, Rouen (mai 2014)
Qu’est-ce que l'hémophilie acquise ?
L'hémophilie acquise est une maladie hémorragique non héréditaire rare due à la présence d'anticorps (auto-anticorps) dirigés contre un facteur de la coagulation (facteur VIII) qui diminuent son activité coagulante jusqu'à un taux souvent très bas. Un anticorps est une protéine complexe utilisée par le système immunitaire pour détecter et neutraliser les agents reconnus comme pathogènes de manière spécifique (germes, virus, etc.). Lorsque l'agent reconnu est un des constituants de son propre organisme on parle d'auto-anticorps.
Combien de personnes en sont atteintes et qui peut en être atteint ?
L'incidence annuelle de l'hémophilie acquise (nombre de nouveaux cas par an) n'est pas connue avec précision, mais elle a été estimée à un cas pour 1 à 4 millions d'individus, augmentant avec l'âge, passant de moins de 2 avant 65 ans à plus de 15 cas par million d'habitants après 85 ans.
Contrairement à l'hémophilie héréditaire qui ne touche que le garçon et s'exprime souvent dès la petite enfance, l'hémophilie acquise survient le plus souvent chez le sujet âgé et touche autant les femmes que les hommes.
A quoi est-elle due ?
L'étiologie de cette maladie n'est pas claire. Une fois sur deux l'hémophilie acquise est considérée comme idiopathique c'est-à-dire isolée sans affections sous-jacente associée. Parfois elle peut accompagner une maladie systémique (polyarthrite rhumatoïde avant tout) ou auto-immune (lupus érythémateux notamment). Dans moins de 10% des cas elle survient en post-partum (c'est à dire dans les 6 mois suivant l'accouchement). Chez certains patients une origine médicamenteuse ou infectieuse peut être suspectée.
Est-elle contagieuse ?
L'hémophilie acquise n’est pas contagieuse, mais survient parfois après une stimulation antigénique non spécifique (agents infectieux, médicaments, acte chirurgical).
Mes enfants peuvent-ils être atteints ?
Contrairement à l'hémophilie constitutionnelle, maladie à transmission récessive, liée au chromosome X (les filles pouvant transmettre la maladie sans être malades, seuls les garçons pouvant être atteints), l'hémophilie acquise n'est pas héréditaire et les enfants ne sont jamais atteints. Cependant dans de rares cas où la maladie s'exprime au cours de la grossesse, l'auto-anticorps dirigés contre le facteur VIII peut être retrouvé pendant quelques semaines dans le sang de l'enfant avant de disparaître spontanément.
Quelles en sont les manifestations cliniques ?
Son diagnostic est en règle évoqué devant un syndrome hémorragique d'apparition souvent brutale et bruyante sans notion d'antécédents hémorragiques personnels ou familiaux. Les patients développent des ecchymoses spontanées étendues à l'emporte pièce, sans facteur favorisant. A côté de ces hématomes extensifs, des complications hémorragiques plus sévères sont possibles avec notamment des hémorragies gastro-intestinales, urinaires, intracérébrales mais ainsi des épistaxis (saignements de nez) parfois très abondantes.
Fait important, l'expression clinique diffère de celle observée au cours des hémophilies congénitales (survenant chez le garçon) où le syndrome hémorragique se traduit surtout par des hémorragies musculaires et des hémarthroses.
Parfois le tableau est peu sévère avec des ecchymoses spontanées plus ou moins étendues. Elles ne doivent cependant pas être négligées car elles sont souvent la première manifestation d'une affection qui peut à tout moment menacer le pronostic vital avec la survenue d'accidents hémorragiques graves.
La méconnaissance et la rareté de cette pathologie peuvent être à l'origine d'un délai diagnostique excessif, au cours duquel le patient peut être soumis à des investigations ou à des actes chirurgicaux pouvant être à l'origine de complications hémorragiques majeures.
Ces dernières années, la constitution de registres nationaux ou internationaux a permis d’apporter des données convergentes plus précises en terme d'épidémiologie, de présentation clinique, de maladies associées et de morbidité-mortalité hémorragique ou iatrogène et d’évolution sous traitement.
Quelle est son évolution ?
Si des rémissions spontanées sont possibles le plus souvent, l'évolution sans traitement est émaillée de manifestations hémorragiques successives plus ou moins sévères dont certaines peuvent induire des séquelles ou conduire au décès. Cependant la mortalité hémorragique est aujourd'hui faible (moins de 5%) du fait de la meilleure connaissance de la maladie, de traitements anti-hémorragiques efficaces et de la possibilité de faire disparaître l'anticorps par l'utilisation d'immunosuppresseurs.
Le diagnostic
Comment fait-on le diagnostic ?
Le diagnostic est facilement apporté par la biologie avec l'analyse des tests de coagulation. Il existe un allongement isolé du TCA lié à la présence d'un anticoagulant circulant démontré par l'absence de correction du TCA par le mélange du plasma du malade avec un plasma de référence normal. L'activité coagulante du facteur VIII est franchement diminuée, le plus souvent inférieure à 10 %. Le taux et l'activité des autres facteurs de la coagulation sont normaux. Le test "Bethesda" démontre la spécificité de l'inhibiteur vis à vis du facteur VIII coagulant et permet de quantifier son titre.
Quels sont les examens complémentaires nécessaires ?
Une fois le diagnostic porté par une simple prise de sang, le médecin recherchera un facteur favorisant ou une maladie associée par des examens morphologique sou biologiques complémentaires simples (scanner notamment).
Peut-on prévenir son apparition ou la dépister ?
La survenue d’une hémophilie acquise est imprévisible, il n’y a pas de situation connue susceptible d’augmenter le risque de la contracter, même si certaines causes médicamenteuses sont suspectés dans certains cas. Aucune mesure de dépistage systématique n’est proposée. Cependant la suspicion biologique étant aisée (allongement du TCA), il importe au médecin de toujours préciser la cause d'un allongement isolée du TCA.
Le traitement
Existe-t-il des traitements médicamenteux ?
Véritable urgence diagnostique et thérapeutique, la découverte d'une hémophilie acquise impose une prise en charge initiale hospitalière en milieu spécialisé.
Le traitement comporte deux volets : d'une part évaluer l'importance des complications hémorragiques et proposer si nécessaire un traitement antihémorragique et d'autre part éliminer l'auto-anticorps. En fait aucun consensus n'existe pour chacune des deux parties du traitement du fait de la rareté de l'anomalie et de l'absence d'un nombre suffisant d'études prospectives, même si des recommandations d'experts proposent une stratégie thérapeutique reposant sur les données de la littérature.
Dans les formes avec manifestation hémorragiques, une prise en charge hospitalière est indispensable où le recours à des facteurs antihémorragiques efficaces pourra être proposé (concentrés de complexes prothombiniques [FEIBATM (Baxter-Immuno, USA)] et au facteur VII recombinant (rFVIIa, NovoSevenTM, Novo Nordisk, Danemark).
Chez tous les patients un traitement immunosuppresseur sera envisagé avec le recours à de la cortisone souvent associé à un autre immunosuppresseur (cyclophosphamide le plus souvent). Dans certains cas peut se discuter le recours à des biothérapies, traitement ciblé vidant à inactiver ou à bloquer une sous-population de lymphocytes.
Existe-t-il d’autres traitements ou mesures auxquels le patient puisse recourir ?
Dans tout les cas le patient présentant un tableau biologique d'hémophilie, des mesures de prévention devront être proposées : limiter les prélèvements veineux, ne pas faire d'injection intramusculaire ou de ponction, absence de gestes chirurgicaux même simples (extraction dentaire par exemple) sans traitement préventif; pas de prise d'aspirine ou d'anti-inflammatoire non stéroïdien, etc.
En cas de syndrome hémorragique important, des transfusions sanguines peuvent être nécessaires.
Que peut-on espérer de ces traitements ?
L’objectif en cas de manifestations hémorragiques est l'arrêt du saignement obtenu en quelques heures chez la plupart des patients. Cependant tant que l'auto-anticorps persiste, la survenue de nouveaux accidents hémorragiques plus ou moins sévère est toujours possible.
Sous corticoïdes et immunosuppresseurs une disparation de l'anticorps avec une correction de l'anomalie biologique (TCA, normalisation du taux de facteur VIII) est obtenue dans plus de 80% des cas en quatre à 6 semaines. Dès la correction des anomalies biologiques le traitement immunosuppresseur sera rapidement arrêté afin de limiter au maximum les effets secondaires de ces médicaments notamment infectieux.
Une surveillance sera alors proposé en ambulatoire, du fait de rechutes possibles (10% des cas).
Y a-t-il des effets indésirables de ces traitements ?
Si en dehors de leur coût, la tolérance des traitements antihémorragiques est bonne le risque des traitements est avant tout infectieux.
En effet un traitement par cortisone administré pendant plusieurs semaines peut induire des conséquences néfastes. On peut limiter certaines d'entre elles grâce à une modification des habitudes alimentaires (régime peu salé) et la prise de potassium de potassium. Cependant une prise de poids, des œdèmes, une élévation de la pression artérielle, la survenue ou l'aggravation d'un diabète sont possibles. Le risque le plus important notamment chez les sujets âgés voire très âgés (après 75 ans) est la survenue de complications infectieuses notamment lorsque le traitement par cortisone est associé à du cyclophosphamide ou à une biothérapie.
Une prévention anti-infectieuse est souvent proposée en fonction de l'évolution des marqueurs immunitaires (lymphocytes CD4).
Une bonne surveillance clinique et biologique associée à une durée la plus brève possible de ces traitements immunosuppresseurs permet de limiter au maximum ce risque infectieux dont le patient doit être informé ; ce risque d'infection parfois sévère restant bien plus faible que le risque de complication hémorragique.
Un soutien psychologique est-il nécessaire ?
Dans les formes sévères ou chez les sujets plus fragiles, un soutien psychologique est souvent nécessaire. La famille, les proches, les amis ont un rôle important à jouer. Le médecin traitant, le spécialiste qui a pris en charge la maladie sont là pour y contribuer.
Quelles sont les conséquences de la maladie sur la vie quotidienne (sociale, professionnelle, familiale) ?
Le risque de la maladie est avant tout hémorragique. Une fois évoquée et diagnostiquée, une prise en charge de la maladie permet une éradication de l'auto-anticorps en moins de trois mois chez la plupart des patients. Une bonne connaissance des signes hémorragiques nécessitant un traitement spécifique et l'intégration dans une filière de soins adaptée permet une prise en charge coordonnée entre le médecin traitant et le spécialiste hospitalier. Tant que persiste l'auto-anticorps, le patient souffre d'une hémophilie et est de fait exposé à un risque d'hémorragie spontanée ou traumatique ou iatrogène.
Comment se faire suivre pour la maladie ?
La rareté de la maladie fait que si les médecins généralistes sont formés pendant leurs études initiales à lare connaître, le recours à un spécialiste est indispensable au moment du diagnostic, puis pour surveiller l'évolution et la tolérance du ou des traitements. Le rythme des consultations est déterminé par le degré d'activité de la maladie. Même en l'absence de symptôme et de traitement, des consultations de surveillance sont nécessaires au moins 4 fois par an la première année puis deux fois par an l'année suivante.
Quels sont les signes à connaître qui nécessiteraient de consulter en urgence ?
Une fois le diagnostic posé une éducation est proposée pour reconnaître les signes cliniques qui nécessiteront un avis en urgence (nouvelles hémorragies, douleur abdominale, saignement de nez, maux de tête, perte de force dans une jambe, etc.).
Où en est la recherche ?
Si le développement de traitements antihémorragiques efficaces a considérablement amélioré le pronostic des complications hémorragiques, une recherche significative existe dans l'évaluation de nouvelles stratégiques thérapeutiques notamment en France dans le cadre d'un projet national de recherche clinique (PHRC).
Y a-t-il des associations de patients ayant cette maladie ?
La rareté de la maladie et sont caractère souvent transitoire font qu'il n'ya pas d'association de patients. La prise en charge est optimisée en France dans le cadre des centres de références et compétences sur les maladies hémorragiques rares. Des informations sont disponibles sur le site Orphanet (www.orphanet.fr)
Peut-on bénéficier d'une prise en charge à 100 % ?
L'hémophilie acquise ne figure pas en tant que telle dans la liste des affections de longue durée ouvrant droit à l'exonération du ticket modérateur. Cependant le coût de sa prise en charge et sa gravité potentielle font que le médecin demande à l'assurance maladie une prise en charge "hors liste", prévue pour les formes évolutives ou invalidantes de toute maladie grave comportant un traitement prolongé et coûteux d'une durée supérieure à six mois.
Pour obtenir d’autres informations sur cette maladie, contactez Maladies Rares Info Services au 01 56 53 81 36 (appel non surtaxé) et www.maladiesraresinfo.org