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Hyperéosinophilique (syndrome)

Rédigé par Jean-Emmanuel Kahn, Service de Médecine Interne, Hôpital Foch, Suresnes & Guillaume Lefèvre, Institut d'Immunologie - Réseau Eosinophile, Centre de Biologie Pathologie et Génétique, CHRU de Lille (mai 2014)

 

Hyperéosinophilies et syndromes hyperéosinophiliques

Les polynucléaires éosinophiles (PNE) sont des cellules sanguines circulantes appartenant à la famille des leucocytes (ou globules blancs). Ils sont présents chez tous les individus, à un taux faible (< 500/mm3 de sang). Leur augmentation au delà de 500/mm3 définie une hyperéosinophilie (HE).

Une HE sanguine et/ou dans les organes ou tissus impose une démarche méthodique d’investigations reposant sur l’interrogatoire, le contexte clinico-biologique et les caractéristiques de l’HE qui permettent d’orienter le diagnostic. A côté des causes parasitaires, allergiques, ou médicamenteuses qui sont les plus fréquemment observées, on identifie aussi des HE au cours d’affections variées (maladies du système immunitaire, hémopathies ou cancers). Quand l’enquête appronfondie demeure néanmoins infructueuse, l’hypothèse d’un syndrome hyperéosinophilique (SHE) doit être systématiquement évoquée.

 

Que sont les syndromes hyperéosinophiliques ?

Les SHE peuvent donc se définir par l’existence d’une HE chronique (plus de 6 mois), habituellement > 1500/mm3, et s’accompagnant d’un retentissement clinique avec la présence d’une atteinte d’organe directement lié à la présence de PNE dans les tissus ou organes.

Les SHE regroupent des situations clinico-biologiques et physiopathologiques très diverses. Jusqu’à ces dernières années, les mécanismes moléculaires à l’origine de l’hyperéosinophilie (HE) étaient inconnues. Dans une certaine mesure, on peut rattacher à ce groupe des SHE une grand nombre de maladies caractérisée aussi par une HE sanguine et tissulaire mais dont l’expression est restreinte à un organe : pneumopathie à éosinophiles, gastroentérite à éosinophiles, cellulite à éosinophiles, myocardite ou cystite à éosinophiles.

Des progrès récents ont permis d’identifier la base physiopathogénique de certaines HE inexpliquées, permettant une meilleure classification des différentes formes de SHE et surtout une thérapeutique ciblée. Il faut néanmoins rappeler que le diagnostic de SHE ne peut être envisagé qu’après avoir éliminer l’ensemble des causes d’HE, ce qui nécessite souvent une enquête clinique, biologique et radiologique parfois longue.

 

Combien de personnes en sont atteintes et qui peut être atteint ?

Il n’existe aucune étude épidémiologique française sur la prévalence de cette affection. Une étude américaine sur des registres hospitaliers évalue l’incidence entre 0,02 et 0,04 nouveaux cas pour 100 000 patients suivi pendant 1 an. En terme de prévalence, cela correspondrait à un nombre de patients atteints entre 0,0003 et 0,006 % de la population américaine. La transposition à la France permettrait d’estimer le nombre de patients atteints de SHE entre 180 et 3600. Les données du Réseau Eosinophile français font penser que le nombre de patients s’approche plus de la fourchette haute, à savoir 1000 à 2000 patients. Il faut noter que ce chiffre n’inclut que les patients présentant un SHE, et donc des patients avec des symptômes et/ou un retentissement organique. Il n’inclut donc pas un grand nombre de patients présentant une HE asymptomatique.

Les SHE peuvent être observé à tout âge de la vie, de l’enfant aux personnes âgées, avec toutefois un pic de fréquence entre 30 et 50 ans. Globalement, il y a autant de femmes que d’hommes atteints. On signalera toutefois que certaines formes de SHE, dits « clonaux », ou « myéloprolifératifs », sont presque exclusivement observées chez les hommes.

 

A quoi est-il dû ?

L’hétérogénéité clinique des SHE tient à la variété des mécanismes à l’origine de l’expansion de cette cellule.

Dans environ 10% des cas, l’augmentation des PNE est directement liée à une anomalie génétique survenant dans un progéniteur hématologique (cellule indifférenciée à l’origine des PNE) conférant à cette dernière une capacité de multiplication et de prolifération au sein de la moelle osseuse. On parle alors de leucémie chronique à PNE (ou SHE myéloprolifératif ou clonal). La plus fréquente des anomalies identifiées est un gène de fusion appelé FIP1L1-PDGFRA. De très nombreuses autres anomalies, beaucoup plus rares ont été aussi rapportées, et de nombreuses autres restent probablement à découvrir. Ces anomalies génétiques ne sont pas transmissibles aux enfants.

Dans 10 à 20% des cas, il a été identifiée dans le sang de patients ayant un SHE un dysfonctionnement des lymphocytes T (autre type de globules blancs), se caractérisant par une production accrue d’interleukine-5 (IL-5) par ces derniers. L’IL-5 est une protéine ayant la capacité d’induire l’expansion des éosinophiles dans la moelle, et leur migration dans différents tissus ou organes. Ces SHE sont actuellement appelés SHE lymphoïdes.

Enfin, dans plus de 60% des cas, aucune anomalie n’est à ce jour identifiable, et on parle alors de SHE « inexpliqué ».

 

Est-il contagieux ? Mes enfants peuvent-ils l’avoir ?

Aucun argument scientifique actuellement disponible de permet de suspecter le caractère contagieux des SHE, et aucune précaution particulière n’est recommandé pour les patients ou les proches de patients.

Les formes génétiques de SHE (éosinophilie familiale) sont exceptionnelles (moins de 20 familles décrites aux Etats Unis). Néanmoins, de telles situations ont été observées dans le Réseau Eosinophile. Cela justifie qu’un patient ayant une HE chronique inexpliquée ou un SHE puisse s’enquérir auprès de sa famille (fratrie, parents) s’il existe des cas identiques familiaux.

 

Quelles sont les manifestations cliniques ?

Les PNE, une fois présents dans le sang, peuvent, ou non, infiltrer l’ensemble des tissus et/ou organes. On signalera que beaucoup de patients peuvent avoir une HE chronique, sans aucune atteinte d’organe, justifiant donc dans certains cas l’abstention thérapeutique.

Les organes et tissus les plus fréquemment atteints sont la peau (70%), les poumons (44%), le tube digestif (38%). Les atteintes du système nerveux et du cœur sont plus graves, mais sont observés chez seulement 20% des patients.

Les manifestations dermatologiques sont variées : prurit (démangeaisons), éruptions cutanées, nodules, hémorragies sous-unguéales, ulcérations muqueuses buccales et/ou génitales, œdème, syndrome de Raynaud.

Les manifestations cardiaques restent malgré tout les plus graves et constitue la complication la plus redoutée des SHE. Elles évoluent en plusieurs phases : initialement, il s’agit d’une myocardite à PNE (inflammation du muscle cardiaque), souvent silencieuse, mais pouvant rarement menacer le pronostic vital (insuffisance cardiaque, troubles de conduction). Dans un 2ème temps, développement de caillots sanguins (thrombi) à l'intérieur des cavités cardiaques, susceptibles de causer des embolies systémiques (migration du caillot vers d'autres organes). Finalement, le risque est l’évolution finale vers une fibrose endomyocardique, se traduisant par une insuffisance cardiaque souvent irréversible.

Les manifestations neurologiques centrales sont les plus fréquentes : maux de tête, inhabituelles par leur intensité et leur persistance, troubles de mémoire ou de l’humeur, confusion, accident vasculaire.

Les manifestations digestives se résument le plus souvent à des douleurs abdominales, une diarrhée, ou une ascite (épanchement liquidien dans la cavité abdominale, se traduisant par une augmentation du périmètre abdominal). Une augmentation de taille de la rate ou du foie est possible.

Les manifestations respiratoires sont une toux, un asthme, un essoufflement, et des anomalies détectables sur une radiographie ou un scanner du thorax.

D’autres manifestations sont exceptionnelles : atteintes rénales, cystites, accidents thrombo-emboliques (embolie pulmonaire, thromboses-oblitération artérielles et/ou veineuses) liés aux propriétés prothrombogènes des PNE.

 

Quelle est son évolution ?

Les SHE sont habituellement des maladies chroniques, nécessitant un suivi prolongé. Alors que le pronostic étant sombre il y a encore 20 ans, des progrès thérapeutiques remarquables ont permis d’induire des rémissions prolongées chez la plupart des patients. C’est surtout vrai dans les leucémies chroniques à PNE liées à FIP1L1-PDGFRA, où l’apparition de l’imatinib, molécule inhibant l’effet proliférant de FIP1L1-PDGFRA, permet d’entrainer une rémission complète chez près de 100% des patients.

 

Comment fait-on le diagnostic ?

Le diagnostic de SHE ne se conçoit qu’après avoir éliminé un grand nombre de cause d’HE. La première étape consiste donc à écarter les causes parasitaires, médicamenteuses, tumorales, virales ou immunologiques d’HE.

 

Quels sont les examens complémentaires nécessaires ?

Les examens complémentaires ont 2 objectifs.

 

Le premier est d’identifier le mécanismes du SHE

Il s’agit alors de détecter une des anomalies génétiques identifiées dans les leucémies chroniques à PNE, comme le gène de fusion FIP1L1-PDGFRA. Ces tests peuvent se faire simplement par une prise de sang, ou par l’analyse des cellules sanguines au niveau de la moelle grâce à une ponction osseuse dans le sternum (myélogramme) ou une biopsie médullaire dans l’os iliaque (os de la hanche). La recherche d’anomalies lymphocytaires T est aussi nécessaire, là encore grâce à de simples prises de sang. Néanmoins, tous ces tests requièrent l’intervention de laboratoires spécialisés, la plupart du temps hospitaliers. Des bilans biologiques plus courants peuvent parfois orienter le médecin vers une origine clonale ou un SHE lymphoïde : dosage d’IgE totales, de vitamine B12, tryptase.

 

Le 2ème objectif est de dépister les différentes atteintes d’organes potentiellement induites par les PNE

L’affirmation de l’infiltration tissulaire par des PNE et donc du retentissement viscéral d’une HE est capitale car elle déterminera la décision thérapeutique : en dehors des SHE clonaux, un traitement n’est indiqué que dans les HE symptomatiques, et ce quelque soit l’importance de l’HE. L’échocardiographie et l’électrocardiogramme seront systématiques, en raison du caractère possiblement indolent de l’atteinte cardiaque, et pourront être complétés par une IRM cardiaque, très sensible pour le diagnostic de fibrose endomyocardique. Les autres examens seront guidés par la présence d’anomalies cliniques (endoscopies digestives hautes et basses avec biopsies systématiques, biopsie cutanée, IRM cérébrale, scanner thoracique ou abdominal, lavage broncho-alvéolaire).

 

Peut-on prévenir son apparition ou la dépister ?

Il n’y a pas de moyen de prévenir l’apparition de la maladie. En revanche, l’objectif est de la détecter le plus précocement possible, avant l’apparition des dysfonctionnements d’organes, parfois irréversibles. Ceci implique donc que toute hyperéosinophilie, aussi modeste soit-elle, puisse alerter le médecin ou le patient, et entraîner alors une démarche étiologique.

 

Traitement

 

Existe-t-il un (des) traitement(s) médicamenteux ?

De nombreux médicaments ont la capacité de bloquer l’expansion des PNE, et peuvent donc être utilisé dans les SHE. La prise en charge thérapeutique est actuellement conditionnée par l’existence d’une atteinte viscérale et/ou l’identification d’une anomalie clonale comme le FIP1L1-PDGFRA.

En effet, dans les leucémies chroniques à PNE, et notamment celle associée à l’anomalie FIP1L1-PDGFRA, un traitement ciblé par imatinib (médicament par voie orale, capable de bloquer la prolifération induite par PDGFRA), entraine des rémissions complètes dans une très grande majorité des cas. On soulignera malgré tout que certaines leucémies chroniques à PNE restent parfois réfractaires à la plupart des traitements, justifiant dans certains cas des chimiothérapies lourdes voire des allogreffes de moelle.

Dans les autres situations (SHE lymphoïdes et inexpliqués), le traitement de choix restent les corticoïdes (prednisone). Si les corticoïdes à fortes doses permettent le plus souvent une normalisation des PNE et une amélioration certaine des signes cliniques, il est fréquent que la maladie réapparaisse lors de la diminution progressive des doses. Il est alors fréquent de proposer un traitement d’épargne en corticoïdes, qui permettra de réduire la dose de prednisone et d’en limiter les effets secondaires. Il s’agit de l’interféron alpha, de l’hydroxyurée, de la ciclosporine par exemple. Ces traitements ne sont malheureusement pas dénués d’effets indésirables, qui en limitent parfois l’utilisation prolongée.

Des molécules prometteuses, capables de bloquer les effets de l’IL-5 sont actuellement en cours d’études dans les SHE.

Enfin, on signalera que l’abstention thérapeutique est la règle dans les nombreuses situations d’HE sans aucune manifestation organique.

 

Existe-t-il d’autres traitements ou mesures que le patient puisse faire ?

On ne connaît actuellement pas de facteur environnemental, médicamenteux, psychologiques susceptibles d’améliorer ou au contraire d’aggraver la pathologie. Dans ce contexte, la bonne observance du traitement prescrit par votre médecin reste la meilleure solution pour éviter toute rechute de la maladie.

 

Que peut-on espérer de ces traitements ?

Il faut toutefois rappeler que la plupart des traitements disponibles à ce jour ne permettent qu’exceptionnellement une guérison définitive, et qu’un traitement (et un suivi) prolongé est donc souvent nécessaire.

 

Y-a-t-il des effets indésirables de ces traitements ?

Les corticoïdes, très souvent utilisés dans les maladies inflammatoires, ont des effets indésirables lorsqu’ils sont utilisés à fortes doses sur une durée prolongée : diabète, ostéoporose, cataracte, prise de poids, insomnie, perte musculaire. Beaucoup de ces effets indésirables peuvent être prévenu par des règles diététiques, et une surveillance médicale appropriée. Parfois, des traitements médicamenteux complémentaires sont nécessaires en plus de la corticothérapie pour en limiter les inconvénients.

L’imatinib, à la dose habituellement utilisée (100 mg/j) est très bien toléré, même si des effets indésirables, hépatiques notamment sont possibles.

En revanche, l’utilisation prolongée d’interféron alpha, de ciclosporine, d’hydroxyurée se complique fréquemment d’effets indésirables justifiant d’en diminuer les doses, et même parfois leur arrêt définitif.

 

Un soutien psychologique est-il nécessaire ?

Comme dans toutes les maladies chroniques susceptibles d’évoluer par poussées-rémissions, et dans lesquelles un traitement chronique est souvent nécessaire, un soutien psychologique auprès du médecin traitant, du spécialiste, de la famille, des proches ou des amis est utile. Le recours à des psychiatres, psychologues est parfois nécessaire. Il n’y a pas à ce jour d’association de malades.

 

Quelles sont les conséquences de la maladie sur la vie quotidienne (sociale, professionnelle, familiale…) ?

Les SHE peuvent induire des conséquences très diverses sur l’état de santé en fonction des organes atteints, de l’efficacité des traitements et de leurs effets indésirables.

En effets, un diagnostic à un stade avancé de la maladie peut avoir entrainer des conséquences irréversibles comme une atteinte cardiaque qui peut parfois justifier d’une chirurgie cardiaque. Les manifestations neurologiques peuvent elles aussi être source de séquelles pouvant altérer la qualité de vie, les déplacements, l’autonomie. Toutefois, il est rare que cette pathologie soit responsable d’une invalidité importante, d’un reclassement professionnel. On signalera que les traitements utilisés peuvent avoir parfois des conséquences invalidantes sur la santé et la qualité de vie, notamment lorsque des traitements de 2ème ou 3ème ligne sont nécessaires.

 

Comment se faire suivre pour la maladie ?

La constatation d’une HE isolée nécessite initialement une prise en charge par un médecin généraliste, afin d’exclure les causes usuelles comme les parasitoses, les causes médicamenteuses. Un complément d’exploration en milieu spécialisé est souvent utile (Médecine Interne, Hématologie) afin d’écarter des maladies inflammatoires, des maladies hématologiques ou tumorales. Enfin, lorsque le diagnostic de SHE est évoqué, une prise en charge spécialisée est toujours nécessaire par des Internistes ou des Hématologues. Chaque spécialiste peut contacter le Réseau Eosinophile.

 

Où en est la recherche ?

De nombreux travaux sont initiés par le Réseau Eosinophile, association ayant vocation à promouvoir la recherche fondamentale, la recherche clinique dans le domaine des SHE, et dont les 2 sites moteurs sont le CHRU de Lille (laboratoire d’Immunologie et service de Médecine Interne) et le service de Médecine Interne de l’Hôpital Foch à Suresnes, en collaboration avec de très nombreux CHU ou centres hospitaliers généraux en France. Le Réseau Eosinophile travaille en collaboration avec l’International Eosinophilic Society et l’industrie pharmaceutique afin de favoriser le développement de molécules innovantes.

 

Y-a-t-il des associations de patients ayant la maladie ?

Il n’y a actuellement pas d’association de patients.

 

Peut-on avoir une prise en charge à 100% ?

Les SHE sont dans la plupart des cas prises en charge à 100% dans le cadre des Affections Longue Durée (ALD) « Hors Liste ».

 

Pour obtenir d’autres informations sur cette maladie, contactez Maladies Rares Info Services au 01 56 53 81 36 (appel non surtaxé) et www.maladiesraresinfo.org