Profession : interniste
La Médecine Interne, dénomination chère aux anglo-saxons et connue en Allemagne dès la fin du XIXème siècle, reste encore trop méconnue et incomprise en France en dépit de son dynamisme et de sa place essentielle dans le système de santé, notamment au sein des hôpitaux. Comme le rappelle Pierre Godeau dans son livre, Les héritiers d'Hippocrate, citant Fred Siguier "Le spécialiste en médecine interne est la contrepartie naturelle de l'excès de spécialisation ; celle-ci est rassurante, intellectuellement confortable, et permet à peu de frais d'être le référent scientifique dans un domaine étroit". Tous les internistes se retrouvent dans les propos de Blaise Pascal "Puisqu'on ne peut être universel et savoir tout ce qui peut se savoir, il faut savoir un peu de tout. Car il est plus beau de savoir quelque chose de tout que de savoir tout d'une chose ; cette universalité est la plus belle". Nous, internistes, sommes souvent considérés par nos collègues spécialistes comme de “ super ” médecins “ généralistes ”, travaillant le plus souvent en milieu hospitalier. En réalité, véritables spécialistes, nous nous situons en relais de la médecine générale et de la médecine spécialisée d'organe. Si l'action des internistes dans le système de santé est aisément identifiable (voire les groupes homogènes de malades dans les services hospitaliers), le problème tient davantage à des difficultés sémantiques (le terme Médecine Interne est ambiguë en France, mais ne l'est pas dans les pays anglo-saxons), qu'à son champ d'activité qui fait de l'interniste le "pédiatre de l'adulte malade". Néanmoins, aujourd'hui encore, en dépit d'un fameux éditorial de Jean Louis Dupond mettant en exergue le rôle fondamental de consultant, nous sommes toujours embarrassés pour répondre à la question souvent posée : dites-moi, c'est quoi un interniste ?
Le système de santé français est caractérisé aujourd’huipar deux types de praticiens : le généraliste et le spécialiste. Cette distinction repose, entre autres, sur le mode de formation initiale, le premier ayant un troisième cycle plus court orienté sur sa pratique future de médecin de famille, le second ayant passé un concours sélectif et préparant une spécialité au cours d'un internat le plus souvent d'une durée de quatre ans, et de cinq ans pour le futur interniste, en raison d'une nécessaire formation multidisciplinaire et polyvalente. Les médecins généralistes qui représentent près de la moitié des médecins français et près de 60 % des médecins libéraux, assurent la médecine de proximité. Ils exercent dans un champ bien défini de soins primaires, dans le milieu de vie de chaque individu, répondant autant à une demande de prévention que de celle de soins immédiats, voire urgents, dans le cadre de pathologies organiques et de situations psychosociales. Contrairement à certains pays, tels l'Allemagne ou les Etats Unis, où des spécialistes assurent des soins d'urgence, les médecins généralistes français ont un rôle prépondérant dans la médecine de premiers recours qu'ils partagent presque exclusivement, notamment la nuit ou les jours fériés, avec les services d'urgence. Il n’intervient qu’exceptionnellement dans la prise en charge du patient en milieu hospitalier public ou privé. Il en est d’ailleurs de même du spécialiste libéral, qui , en dehors de structures spécifiquement liées aux urgences, a ou devrait avoir exclusivement un rôle de consultant. Quant au spécialiste hospitalier, s’il doit être lui aussi d’abord un consultant, il est en cas d’hospitalisation de son patient, responsable de la totalité de sa prise en charge pendant toute la durée de celle-ci, dans son champ de compétence.
Aujourd'hui le spécialiste en médecine interne est essentiellement présent en milieu hospitalier (seuls 300 des 2000 internistes français ont un exercice libéral pur) où il est souvent considéré comme le spécialiste des affections laissées pour compte par les spécialistes dites d'organe. En fait l’interniste doit savoir maintenir en équilibre de nombreuses fonctions, souvent contradictoires en apparence : il doit savoir prendre en charge aussi bien les patients présentant des pathologies dites courantes mais imposant l’hospitalisation soit à cause du terrain, soit de leur intrication, aussi bien que ceux atteints de maladies rares ou de diagnostic complexe, qu'il est entraîné à résoudre grâce à sa formation, ses connaissances, son esprit de synthèse et son aptitude à faire appel aux biotechnologies de pointe ; il exerce ainsi une médecine “ générale ”, globale, holistique et approfondie à l'intention des patients aux pathologies multiples tout en laissant la priorité aux spécialistes lors de problèmes médicaux de haute spécificité ; il doit se sentir aussi responsable des coûts de la santé, tout en s'investissant enfin dans l'enseignement et la recherche clinique. L'interniste a ainsi une place importante dans l'enseignement de la médecine aux futurs médecins généralistes (un stage obligatoire dans les services de médecine interne ou "assimilés d'adultes" étant dorénavant inscrit dans leur cursus de troisième cycle), aux praticiens installés (formation médicale continue) mais également aux médecins spécialistes, le comité européen des spécialités médicales imposant un stage en médecine interne générale comme préalable à toute spécialisation (4). L'activité des internistes en terme de recherche, tant fondamentale que clinique est importante. Elle s'inscrit souvent dans les thématiques prioritaires proposées lors des derniers programmes hospitaliers de recherche clinique : maladies orphelines, gériatrie, douleur, stratégies diagnostiques ou thérapeutiques. De fait de nombreux protocoles de recherche dont les internistes étaient co-investigateurs ou investigateur principal ont été financés dans le cadre de ces appels d'offre nationaux. Les réunions avec des équipes INSERM et les nombreux projets présentés lors des séances du conseil scientifique lors de nos congrès semestriels témoignent du dynamisme des internistes en terme de recherche (protocoles et registres disponibles sur le site internet de la Société Nationale Française de Médecine Interne : medinterne.net). Encore trop faiblement représentés en France - le ratio des internistes au sein des spécialistes étant d'environ 2% contre près de 15 à 25 % dans les autres pays de la communauté européenne - nous devons apparaître, à l'instar des pédiatres pour les enfants, comme des spécialistes d'une médecine globale recourant aux spécialistes d'organes pour les problèmes relevant spécifiquement de leur compétence.
En fait hormis les médecins généralistes dont la spécificité d'exercice est évidente, les médecins spécialistes se distinguent en spécialistes d'organes ou de fonctions tels les cardiologues, les gastro-entérologues, les gynécologues, les neurologues, les endocrinologues, les psychiatres, et surtout les spécialistes chirurgicaux , et en spécialistes dont l'approche est globale et dont le nom diffère selon l'âge des patients qu'ils sont amenés à prendre en charge. Personne n'a de difficulté à situer le pédiatre, pas plus que le gériatre malgré l'ambiguïté entre gériatrie et gérontologie clinique. Certes, la gériatrie relève d'une évaluation globale, médicale et psychologique mais aussi sociale parfois au premier plan. De fait, en terme de santé publique, la place du gériatre est essentielle dans l'organisation gérontologique dont l'objectif essentiel est le maintien à domicile de l'individu âgé malade dépendant ou non, avec l'aide de la famille, des travailleurs sociaux, des aides sanitaires et sociales, etc. Mais la spécificité du gériatre, comme celle du pédiatre, réside avant tout dans le caractère global de la prise en charge de la personne en tenant compte de son environnement.
Dans ce contexte il n' y a aucune difficulté à placer l'interniste entre le pédiatre et le gériatre.
- L'interniste, outre son rôle important de consultant, concoure efficacement à l'établissement des plans diagnostiques et thérapeutiques chez des patients souffrant d'affections sévères et multiviscérales, qui par nécessité de soins spécifiques sont hospitalisés en services de spécialités d'organe.
- L'interniste, de par son approche globale prend en charge un grand nombre de maladies auto-immunes inflammatoires ou systémiques ou de maladies dites orphelines.
- L’interniste est le mieux à même de prendre en charge, à l’âge adulte, les affections, génétiques ou non, qui apparaissent chez l’enfant ? Les progrès de la médecine ont permis à des enfants porteurs d'affections héréditaires graves d'arriver à l'âge adulte mais aussi d'identifier après 18 ans des formes moins sévères ou incomplètes. Les internistes se retrouvent très souvent en charge légitime de ces maladies orphelines, du fait leur expression souvent multifocale, multiviscérale ou multisystémique.
- L’interniste assure, après le médecin “ urgentiste ” et le médecin généraliste le relais de l'urgence non focalisée ? Le lien entre les services d'accueil et de traitement des urgences et les services de médecine interne est un lien naturel, qu'il s'agisse d'accueillir les patients justifiant une hospitalisation ou d'aider les médecins urgentistes à différer une admission au profit d'une hospitalisation programmée ou d'une consultation externe orientée.
- L'interniste aide à la prise en charge hospitalière du sujet âgé poly-pathologique ? Il est indiscutable que les internistes, en partenariat avec tous les spécialistes hospitaliers, ont un rôle important dans la prise en charge des personnes âgées, les "gériatres" étant électivement et nécessairement concernés lorsque leurs pathologies s'associent hélas à une situation de dépendance ou à risque de dépendance, impliquant une coordination spécialisée des soins médico-psychologiques et médico-sociaux.
La médecine interne n'est de fait pas une spécialité confidentielle, mais une spécialité de démarches diagnostiques plus ou moins difficiles et de la prise en charge de patients adultes âgés ou non souffrant de polypathologies ou de maladies générales
Références
P. Godeau, Les Héritiers d'Hippocrate. Mémoires d'un médecin du siècle, Editions Flammarion, 2000.
JL. Dupond, Dites-moi, c'est quoi au juste un interniste ?, Rev Med Interne, 1997; 18: 929-31.
B. Guiraud-Chaumeil, Médecine générale, concepts et pratiques, Paris : Editions Masson, 1996.
C. Davidson, European perspectives on general medicine, Lancet, 1997 ; 350: 1645.
PC. Sorum, Two tiers of physicians in France. General pediatrics declines, general practice rises, JAMA, 1998; 280; 1099-1101
L. Randolph, Physician characteristics and distribution in the US : 1997-1998 Editions. Chicago III. American Medical Association 1997.
H. Lévesque, Profession interniste, Rev Med Interne, 2002; 23 : 411-4.